ames sensibles


Courrier du Cœur IV.

Écrit dans la nuit de mardi à mercredi.


Depuis longtemps déjà, j'ai croisé ton regard interrogateur, appuyé. Et je ne puis y être indifférent. Cette nuit,
malgré toutes mes frustrations, mon imposante timidité je t'ai abordée. Certes j'étais absolument saoul mais en plus de ton physique, en plus de ton rire, en plus de ton sourire, en plus de ton charme, en plus de toutes ces armes, Chrystelle je suis certain de mon amour, quel que soit mon état. Et même si je publie mes sentiments ici bas, ils n'en sont pas pour autant futiles. Je t'aime et ce n'est pas de l'esbroufe. J'ai regretté de ne pas te suivre lorsque tu es partie, j'ai regretté de ne pas être lourd et lucide. Je suis revenu jusqu'à l'endroit de l'échange de nos premières paroles, j'ai partout demandé ton adresse, à Gégé, à Ahmad, à Fab, en vain; désespéré je leur ai ensuite demandé l'adresse de Coralie et de Cyril, sans résultat. Je suis rentré dans mon petit appartement pour y écrire ceci, pour exprimer toute ma peine et toute ma douleur.
  Je ne suis pas un fin dragueur (comme tu as pu le remarquer), j'agis au feeling. Je n'aborde donc pas au hasard,
lorsque mon cœur s'emballe sincèrement je fonce. Donc je n'aborde pas n'importe qui. Et comme je le ferais (à tes pieds si tu l'exiges) encore et encore, je te dévoile ma flamme, mon amour écorché, je te découvre mon honneur anéanti. Je n'en suis pas moins homme, je te veux même si ce langage n'est pas le nôtre, je te ressens même dans tes absences, je t'aime même dans nos éloignements. Je suis tellement sujet à de terribles interrogations que je serais prêt à tout pour pouvoir discuter un peu avec toi, quelques instants seulement au milieu de mon éternelle tourmente. Prêt à n'importe quoi pour te rassurer, te justifier mes paroles désordonnées, t'ouvrir véritablement mon cœur.
  Je ne sais plus trop où j'en suis, je m'identifie au chien que son maître vient de battre par amusement. Désarroi.
Je te veux malgré tout, je te veux mienne, je veux sentir ta salive à toi, ta chaleur, ton corps convulsé. Je veux percevoir tout au long de mon échine tes gémissements de bonheur. Je souhaite planter en toi la semence sécrétée par l'écorchure de mon cœur. "Allez enfouis-moi, passe moi par-dessus, de tous les bords, et reste encore un peu après que même la fin soit terminée. Nous, on n'a pas allumé la mèche, c'est Lautréamont qui nous presse dans les déserts, là où il prêche, devant rien on donne la messe..." Auparavant je n'avais jamais publié ces vers pour qui que ce soit. Sacrifice.
Je crois savoir ce que tu ressens et m'en inculpe. Je n'ai pas été à la hauteur de ta magnificence et m'en puni.

Sache que je t'aime.


Prologue.
Écrit mercredi soir.


J'étais timoré: on devait m'appeler pour me donner ton numéro de téléphone, et moi j'étais là, en ce mercredi

soir consacré à mon rétablissement, avachi sur un banc de la place Victor Hugo. Que faire, rentrer de suite pour apprendre que tu n'es pas sur l'annuaire des élèves de PG ou bien attendre là, anxieux que tu passes à vélo ? Que la coïncidence serait excitante... Aller, il est tard, mes yeux se fanent sous la fatigue et le chagrin. Â chaque bruit de vélo, à chaque coup de pédale je me retourne, je scrute. Est-c'elle ? Mais non, c'est un octogénaire homosexuel vêtu d'une casquette jaune et d'un cycliste rose: "Salut chéri" me dit il. "Mais tu n'as pas de selle !" lui fais je remarquer... Pour rentrer chez moi je dois traverser le Bd Gambetta. Gentiment j'attends le feu vert. Tiens, un bruit de roue qui tourne... Merci de m'avoir empli de ton superbe sourire au cours de cette non moins merveilleuse coïncidence.
D'où venais-tu, vers quoi ? Peu m'importe.
Je t'ai vu et seul cela, vers l'apaisement me porte.


Épilogue.


Ensuite j'ai eu ton adresse en revenant d'un long week-end à Béziers (pour l'Ascension). Évidemment je n'ai pu
m'empêcher d'aller te rendre visite, enfin d'essayer. J'aurai presque pu te voir, te parler un peu. Mais tu n'étais pas en mesure de répondre à mon attente. Je t'ai parlé un peu. Et même à travers l'interphone cela m'a fait un peu de bien, comme le réconfort que procure une dose de morphine administrée l'homme qui souffre. Te dévoiler tout cela brûlerait tout espoir comme brûle ma passion, avec violence. Alors je me tais, d'aventure je jouerai l'indifférence face à mon amour mais, je tenterai encore de te séduire grâce à des armes à la hauteur du meilleur de moi-même. Pour garder espoir je dois taire en moi ce qui sublime mes émotions naturelles, carillonne et résonne tout au fond de mes palpitations artérielles: c'est à dire ce qui en rien ne me raisonne, ma passion. Tout le monde utilise à tort et à travers ce mot de taille moyenne alors qu'il devrait être manipulé avec la plus grande délicatesse. Tout ce qui fait sa magie réside, en plus de sa signification maléfique dans sa grande valeur. Et comme les objets précieux, sa valeur dépend entre autres de sa rareté.
Mes feeling à moi me trompent rarement, mon cœur ne se branche pas à la place de mon cerveau inutilement,

je suis certain de pouvoir t'offrir autant que je pourrai te donner sans jamais attendre en retour autre chose qu'une simple confiance mentale comme physique. Je sais pertinemment ce que tu penses de moi après cette nuit d'ivresse passée à me comporter comme un élève ingénieur modèle. Et je prouverais que je suis si faible si je publiais ce poème dans le Petit Bavard. Mais il y a un monde de vérité entre mes sentiments et mes envies provocatrices. Le PB sert à me protéger, moi et ma lâcheté de la société que je n'ose affronter de face. Cet écrit, un peu comme l'enfant de l'artiste, sert à me soulager des tensions cancéreuses que crée le poids de mon amour inavouable.


"Fantasmes de désirs comme des rêves, les œuvres d'art constituent pour leur créateur une sorte de soupape de sûreté à la pression trop forte de leurs instincts refoulés."

Marie Bonaparte.
     
   

Stépan O.