ames sensibles


La Cité d'Ici.

Stépan O.

  Lorsqu'il faut rentrer en tram', j'ai la cervelle du ventre qui grince aux heures de pointes. Lorsque les volets
s'ouvrent sur la réalité, les lampes des génies sont blasées. Impossible d'éviter les flashes des murs sales, la poussière des squares arrangés, la tempête des parkings sous-cutanés. Les ténèbres semblent fiévreusement bouillir ici, sous le macadam moite de pollution. Je parle des vraies ténèbres, grisâtres et suintantes où la vie n'est qu'un prolongement de l'espoir enterré vivant.
Vif, rien de vif ni de spontané. Simplement la réponse ordinaire à l'arrogance du quotidien. Aucune ouverture
sur la couleur de l'imprévu, tout est réduit à un illusoire Carpe Diem schématique, informatique, systématique. Ni expression, ni impression. Juste le frêle sentiment de remplir l'espace qui nous est destiné, assurer la tâche réclamée. Même le théâtre semble être un divertissement organisé, plus que planifié: s'il reste encore des individus qui tentent de se cultiver, d'échapper à la télé, et bien donnons-leur ce qu'ils attendent, la bêtise vers laquelle ils tendent irrémédiablement: une pièce reconnue mais peu classique, aux affiches assez modernes pour évoquer l'art sans jamais l'approcher, évoquer le flou, lui qui pourrait nous changer si l'on ne nous parlait sans cesse de changement. Aseptisés.
Et ne parlons pas des rues piétonnes. Ces lacets si souvent sordides, d'habitude sombres et surprenants se
succèdent ici pour n'aboutir nulle part, les issues sont partout et mènent systématiquement au commerce le plus pimpant, impossible de s'y perdre... L'éclat vient de l'or des vitrines ou des maigres pièces qui tapissent le fond d'un chapeau de mendiant... Les acteurs de cette mascarade ont un rôle métallique, inflexible, uniforme, infaillible, sauf pour un ou deux politiques : et paf dans le panier... Tous les traits sont prédéfinis, il n'y pas de place ici pour le hasard, l'imprévu, l'expérience, le désordre, la nature... À bientôt je l'espère, là où nous ne nous y attendrons pas.

Stépan O.


Stépan O.