ames sensibles


Mauvaise Anticipation.

Maintenant, sur le papier.

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  La science fiction a quelque chose de mystérieux pour les auteurs de littérature, car elle demande non

seulement un peu de style et quelques connaissances technologiques, mais surtout parce qu'elle requiert un investissement conséquent et précis en matière d'imagination. De très nombreux disques traitent encore de nos jours de romans de science fiction comme on aime à l'abréger, mais il apparaît que ce style semble moins populaire que durant les siècles précédants la grande révolution. Peut-être la réévaluation des masses culturelles par la spiritualité a-t-elle contribué au désintérêt pour ce qui ressemble plus à un divertissement littéraire qu'à un exercice artistique. Toutefois on retrouve dans le fonds de la romthèque universelle quelques œuvres pré-révolutionnaires dont l'intérêt artistique saura susciter votre plus vive émotion. J'en veux pour exemple (le plus frappant semble-t-il) l'œuvre colossale de H. Hesse qui s'intitule Le Jeu des Perles de Verres qui sait décrire avec une extraordinaire précision le monde contemporain. Il faut observer, et c'est cela le plus étonnant, que cette œuvre a été rédigée au cours du vingtième siècle (dans l'ancienne numérotation). Il est évident que l'auteur avait vu juste en considérant son siècle comme un des plus désorienté qui soit, tant à cause de sa variété inutile et "desintellectualisante" que grâce à la conséquence de cette diversité abrutissante: la recherche d'une autre intelligence des masses supérieures dans la spiritualité. Et c'est effectivement cette recherche de la personnalité intérieure qui conduira petit à petit l'espèce humaine à la grande révolution et l'universalisation discrète de la spiritualité comme on l'entend aujourd'hui.

  Ce qui de nos jours est regrettable, c'est justement cette perte de l'utilisation d'une imagination abusive dans
la littérature. Elle permettrait, sans prétendre les résoudre, énoncer les principaux problèmes et solutions qui pourraient s'offrir à nous dans les temps à venir. Il faudrait, je crois, ajouter à nos connaissances et recherches cette matière: l'imagination abusive; autant dans son sens populaire que dans son sens étymologique. Populaire, le mot est lancé et je sais qu'il suscitera chez le lecteur une certaine crainte. Mais il faut voir dans la locution "imagination populaire" une nouvelle compréhension des problèmes dont nous construisons à chaque instant les bases, à nos propres dépends. Cette activité consisterait à faire éclore ces problèmes et à en discerner les solutions, à s'y préparer par avance et par intuition (petite sœur de l'imagination). Évidemment cette activité à risques devra s'accompagner du développement d'un réalisme sécurisant et surtout pas rétrograde.
  Car il faut se rappeler ce méfait de l'imagination intentionnelle qui conduisit les hommes à des égarements

irréversibles et emmené par ce sacerdoce de faux prétexte: la religion. Toute action déviée de l'itinéraire pour lequel elle est prévue engage trop souvent à la naissance du génie ou de l'absurdité la plus néfaste.


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  Voici ce que l'on put entendre le 23 octobre 3751, quelque part dans le bureau d'un gratte-ciel chatouilleux.

- Bonjour Messieurs. Bienvenue dans notre réunion hebdomadaire du désert. Je voudrais, si vous le permettez, débuter cette cession en vous lisant l'introduction du nouveau disque d'histoire et de sciences humaines, niveau de seconde phase, rédigé par Sermonin Predy, et édité aux Éditions Chromax. Je dois vous précisez avant de débuter ma lecture que ce disque E2PROM a été celui désigné cette année par l'Ordre pour servir l'enseignement de la matière grise sus-citée.

Et ainsi débuta la lecture :

Analyse de quelques conséquences de la grande révolution.

 

Par Sermonin Predy.
Disque d'histoire de 2nde phase.


Introduction.

 
Toutes les époques de l'Histoire ne furent pas à la gloire de l'espèce humaine. Certains disques anciens
rapportent de terribles crises qui s'étendaient sur tous les niveaux sociaux et débouchaient parfois sur quelques Note 1 dont la cruauté ne trouvait de sœur de sang que dans la barbarie. On a vu se développer ces conflits principalement durant les premier et second millénaires après l'an zéro-chrétien, accompagnés de la prolifération des religions. Ils cessèrent enfin en 2789, au moment où débuta la grande révolution non polluante (cf. Chap. II) et où l'épanouissement de la spiritualité se sépara à la fois du désir d'espérance et de la naïveté satisfaisante.
  À cette époque, et ce fait fut une des principales causes de la grande révolution, l'homme avait tellement
sacrifié la nature au profit aveugle du progrès, que seules quelques espèces des faune et flore subsistaient encore. Il restait à l'homme trois espèces animales domestiquées et quelques conifères robustes auxquels il n'attachait plus grande importance, tant ces "choses" étaient devenues insignifiantes à ses yeux, eux-mêmes rougis par la grande concentration de gaz nocifs contenus dans l'atmosphère. À ce stade de destruction avancée, les cycles naturels intacts étaient si rares que l'existence même de l'espèce humaine était mise en péril. Et nous devons notre salut à ce fantastique chercheur et astronaute, Calomnias Jurin, qui sut découvrir et développer à des fins existentielles la Vénusia.
  Sans ladite substance qu'il rapporta d'un de ses voyages, nous ne connaîtrions ni les couleurs, ni les plantes
qui en sont vêtues (tel le coquelicot ou la tulipe), ni la procréation ergotale, ni l'éclat du soleil. Et aussi absurde que tout cela puisse vous paraître, sans ces découvertes primordiales seuls quelques-uns d'entre nous subsisteraient encore.
 
Grâce à la Vénusia, on a su, à partir de quelques atomes collectés au milieu de ce qui restait de la Nature,
recréer quelques plantes à grands renforts d'énergie solaire. Par la suite, et par d'astucieux mélanges entre ces plantes et d'autres atomes retrouvés vivants dans les sédiments ou les glaciers de l'Europe, on recréa le reste de la faune et de la flore. Et il faut bien l'avouer, c'est presque un miracle si aujourd'hui la terre est aussi belle et emplie de vie.
 
Car c'est encore grâce à la Vénusia que le manque de fécondité a été comblé. Seuls quelques
spermatozoïdes suffisent maintenant à générer une centaine de nouveaux êtres. Rares sont les femmes qui doivent aujourd'hui subir la disgrâce d'être enceintes, la couveuse centrale se charge bien de cette corvée. Pour l'anecdote en guise d'antidote, on raconte qu'à partir du vingtième siècle, des femmes portaient le fœtus initialement élaboré par leur ovule personnel et par le spermatozoïde d'un homme différent de leur mari, parce que ce dernier était devenu
De nos jours, la stérilité n'est plus un problème terrifiant tant elle est répandue. Et cela ne nous empêche nullement de trouver du plaisir dans l'acte sexuel, acte que nous pouvons reproduire à l'infini sans risque d'enfanter.
 

 

Voilà messieurs l'approche -car on ne peut certainement pas parler, dans ce cas précis, d'exactitude-

de l'Histoire qu'on voudrait enseigner à nos étudiants. Si le style est irrégulier, adsuivant tournures complexes et expressions familières, le contenu en est non moins édifiant de parti pris et de manque de rigueur. Cela rappelle les œuvres propagandistes des sectes ancestrales pour l'instruction de leurs dogmes. C'est pourquoi je voudrais connaître votre avis sur le sujet, car nous ne devons pas, pour éviter de réitérer les erreurs commises durant les millénaires précédents, céder devant la facilité de l'énonciation et des idées.

Huit des dix membres présents à cette réunion votèrent une révision complète de l'E2PROM. Sur le rapport transmis au représentant de l'Ordre pour l'enseignement on inscrivit d'ailleurs: "Il est par exemple intolérable d'omettre de préciser dans l'introduction de ce cours le problème qui nous occupe à présent, à savoir le manque d'amour des parents pour leurs enfants, situation à laquelle nous devons dès maintenant sensibiliser nos élèves."
 
Car de nos jours, si les problèmes anciens qui menaçaient notre existence ont été résolus grâce, notamment il

est vrai, à la Vénusia, le revers de la médaille demeure inquiétant. De nombreuses personnes souffrent d'un manque affectif certain qui conduit très souvent à l'apparition de maladies incurables telles la mélancolie ou la dépression. Cette dernière amenant fréquemment le sujet jusqu'aux falaises du suicide. Et si ces troubles ne semblent pas affecter l'enfant, ils se manifestent beaucoup plus tard, majoritairement vers 50, 60 ans juste après l'adolescence. Et ceci sans distinction raciale ou sexuelle. Nous ne mourrons plus d'asphyxie par pollution de la nature mais par dégradation de notre nature personnelle, atténuation lente et sournoise de la gaieté générale et de la joie intérieure. Seules échappent à cette fatalité les familles unies par l'enfantement, familles chez qui on a coutume de dire, en ressuscitant du vingtième siècle cette locution malheureusement célèbre: "il fait bon vivre". Et si la croissance du phénomène persiste, il est à craindre que la dépression affective ne devienne la plus importante cause de mortalité sur la planète (et de très loin).
À tel point qu'il est prévisible qu'au demi-siècle prochain, la population soit à nouveau décimée de moitié, en tenant compte du phénomène de dépression générale et de panique qui gagnerait l'ensemble de la population terrestre. Nous avons eu la force de faire renaître le monde de ses cendres et, fatigués, nous rentrons dans une ère de facilité qui l'avait largement abîmé. Il faudrait ne plus commettre ou reproduire, en tout cas empêcher de se produire des erreurs similaires à celles de nos ancêtres. Ce ne serait qu'une juste utilisation de notre intelligence dite supérieure. Et c'est ici qu'histoire et science fiction se rejoignent. L'imagination intelligente doit servir la première afin d'en prévenir, pour mieux les affronter, les maux du présent. Le savoir acquis par le passé, les données du présent, les prémonitions de l'avenir, en quelque sorte notre intelligence doivent servir le plus beau cadeau que la vie puisse nous offrir: des enfants.

     
Fernand Scriptus.
Extrait du Traité de Réalité Progressive.
Transmis le 4 mai 3892.
 


Stépan O.

Autre endroit, même temps, dans la réalité.

   
Là dehors il y a des arbres et des fleurs: c'est le printemps qui, à la bonne heure,
 
  bourgeonne. Là dehors il y a lesdalles de marbre et les gens cuivrés qui claironnent. Dans les quartiers résidentiels la vie bat son plein, bataille. On y voit le ciel, et seuls sont sous-marins les bureaux, les transports, les labos, les tombeaux où l'on dort. Là dehors, heureux les couples parents, les vrais féconds, eux ont versé leur sang pour cueillir le bonheur: un enfant.

Par là-bas on aperçoit les mines tristes qui, comme ci comme ça se blottissent dans les bras sans émois de la nourrice. Moi je suis jeune, et la vie me gagne, pleine de fureur; ça y est, je suis une femme. Toi tu es beau, puissant et tu m'aimes. Ton grand sexe virulent m'emmène dans ces drôles de champs où l'on sème cette goutte qu'on appelle sperme. Ne pars pas, ne pars pas mon dieu, mon âme, vers les mines marines où tu rendras l'âme.

Hier tu es mort, et mon amour pleure encore sur le coquin de sort qui a doté mon corps d'un ventre si rond et pour mon bonheur, fécond. Bien sûr il aura ton nom, mais ce monde abscons lui laissera-t-il la chance de l'existence ? Je voulais deux hommes heureux, je n'en aurai qu'un: Mathieu.

 
   

 

Demain viendra la naissance.
Quelle insouciance
Attire alors Éléomore vers le dehors ?
Elle danse, joue, chante, se maquille de batiflores,
Elle court tourne saute et vole condor.
Elle danse, son corps vibre, léger, sans effort.
En son ventre sommeille la poule aux yeux d'or.

Elle sera mère au vaste cœur tel l'océan,
Caressante comme les vagues de Ceylan.
Elle serre déjà son enfant-bonheur des ses bras
Et saute une dernière fois, de vie à trépas
Sur une mine, inutile, laissée là…

 
 
Stépan O.