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Alligators 427.
Ombre. Un grand cube noir au milieu de Paris. Entre la goutte d'or et St Germain. Le cube est d'un noir mat, | |
avec un reflet métallique sur un coin, comme un renfort. Souple, d'une simplicité déconcertante, d'une perfection absolue, le cube laisse juste apparaître mes converses oranges montantes repeintes. De temps en temps, suivant l'inspiration d'Éole, mon imper dépasse, virevoltant dans le vent tourmenté. La tourmente est d'ailleurs la seule raison d'être du cube. Depuis toujours il me rend visite, mais je ne l'ai jamais identifié. Plusieurs fois, par pure convenance, je lui ai offert un drink mais c'est seulement ce soir, une fois dans la rue, que j'ai pu le définir. Peut-être auparavant la situation environnante était-elle la cause de ce phénomène ? Il avait plu, tôt ce matin. Le macadam lisse, parfait pour le skate, bleu marine foncé, était resté humide toute la journée. Les branches recroquevillées, des arbres au garde à vous se maintenaient entre la vie et l'éclat de rire. Les chiens pissaient sur les feuilles déchues, tombées au sol, touchées au cœur. Les blanches colombes chiaient sur les bourgeons gris de poussière d'ange corrompu. | |
Je marchais donc, porté par mon cube anonyme. Je marchais et je marche encore, comme un mannequin | |
cobaye qu'a sniffé toute sa paille
. Je tourne et je virevolte. Me voilà parti vers d'autres aventures acidulées.
J'ai changé mes converses pour des Docs, oranges aussi. J'arrive enfin.
Ils sont tous déjà las. Avec leurs volumes à eux, chacun le sien et tous
avec tous. Chacun sa couleur, sombre de préférence, pour un arc en ciel
aux flèches aiguës. Ils sont là pour apercevoir la pyramide. Personnelle
à chacun, visiblement la même pour tout le monde. Mais personne n'est monsieur
tout le monde. J'arrive le dernier. Ils ne peuvent déjà plus se passer de
l'aiguille ou la feuille. Ils dégagent de leurs narines le flash éblouissant.
Peu à peu, sous la voûte romaine de nos coiffes déraisonnées, les cubes
et les sphères s'unissent. Les cylindres ont la traîne ressortent des champs
de Maldoror. Toutes les arêtes sont jointes, invisibles. La fumée s'est
propagée dans chaque cratère. Elle s'est appropriée chaque chromosome, chaque
langue. N'est-ce pas merveilleux de se sentir piégé, et de surcroît par
sa propre volonté ? Le cochon qu'on égorge chante "Je t'aime" dans sa loge
rose. Bouchers de l'ozone et des sourires, je vous attends. Entre reniflette
et seringuette, les anges nucléaires tentent de nous attirer. Mais Allah
s'est flingué. Les vers de terre sortent une dernière fois de leur état
permanent. Les dingues et les paumés sont satisfaits: il n'existe plus de
raison de le faire. Le mal vient de s'évaporer avec la texture du rideau
de douche. Psychose. Le bouddha crache le sang qu'il a bu en Siddartha,
qu'il fait couler depuis la première pluie. Tous ensemble dévorés par la
même averse, renverse, fleuraison mentale. |
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Je reprends mon chemin, mon juke-box malade. Mon cube est parti en ballade pour rejoindre John. Mon | |
imper donne à mon ombre des allures
de nirvana inca: les dread locks dans le vent, la cithare que j'éclate sur
la scène de l'autel ; celui où l'on a égorgé le veau doux de l'hiver. Je
monte à l'échelle rouillée. Je m'assois sur une cheminée de briques rouges
tel le chat agile. Je vois Hippo éteindre les monuments de notre triste
mémoire. Il est minuit. Paris s'éveille et s'endort. J'imagine le rire fracassant
de toutes nos cellules mortes. Elles s'exclament d'une seule voix: "Laissez-nous
fondre en paix. Vous végétez. Fusionnez." J'appuie sur le starter, je vais
voir ailleurs. La nuit le trip est gratuit, plus besoin de paille. D'un
pas léger, telle la ballerine shootée, je m'élance tel la lune qui chante
au zénith. Tous ensemble, balayons l'éternité. Nos chats nocturnes libérés.
Tous différents en apparence, nous sommes complémentaires. Les uns poètes,
les autres fromagers de notre curiosité. Tous un peu fous. Et vive la ville
de l'orient. La ville ne nous appartient pas, nous n'appartenons pas à la
cité. Nous sommes les seuls réunis sur cette planète. Et bien avant Internet,
club des solistes. Les impulsions nous mènent. Notre passion nous fait déjanter.
J'aime ça. Elle est ma seule raison. Si notre environnement nous transporte,
seules nos pensées nous autorisent à prendre notre envol. Je ne cherche
pas à échapper à la vérité, contre les avis naïfs. Non la vérité est corrompue,
c'est un virus, elle ne m'intéresse plus. Il existe la nuit. Lorsque les
gentils sont évanouis. Une présence en chaque être. Cette présence se cache
le jour cache le soleil est trop intense. Il cache la fosse profonde des
sentiments. Il n'éclaire que les surfaces visibles de l'ordre. Le jour,
l'égarement vers le rêve (bien certain lui) est interdit. À moins d'une
éclipse. La nuit, la tendresse du no man's land transmet à être ce drôle
d'avantage qu'est la curiosité. Je recherche alors le volcan de la femme,
ou la crevasse de l'homme. Quand je suis une déesse. Les dégénérescences
sont ma seule alchimie. Je reviendrai me déchirer dans ton karma, fixer
ta chaleur pour zigzaguer entre les antennes de la démence. Ce soir je sors
de mon blockhaus pour aller danser la javanaise sur les toits de l'inefficacité. |
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Un peu plus loin dans une petite rue de Pigalle, je m'achète deux bouteilles. Une de bibine rougeâtre, | |
douteuse, l'autre de tequila. Quel curieux mélange que la rose et le réséda. Je traverse un pont. J'offre le restant de tequila à l'amant qui dort là. Je pose consciencieusement le cadavre de l'autre bouteille le long d'un mur de l'Hôtel-Dieu. Ah quelle île ! Cathédrale de malheurs. Le diable s'est planqué là sous les dalles. Mais ce n'est pas encore mon heure. Je titube. Ça ne va pas très bien. Je gerbe sur le petit caniche à sa mémère. Je vomis sur les souliers de la grand-mère. Je sais que les serpents ne peuvent pas m'étouffer maintenant. J'avance. Avancer toujours plus droit. Fatalité, Notre-Dâme en noir. Je tente. Fatalité qui fait de mes jours le résidu d'une fermentation assidue. Avaler le ciel pour mieux m'entendre rire, pisser sur les antipodes gastronomes. Mettre le feu à la banquise, à la boussole pour voir les autres s'évanouir. Se taper l'hyperespace pour papoter avec une chaise tombale… Tant d'actions qui donneraient à mes jours un petit coin de ciel bleu, à l'ombre du hasard coïncident. Pourtant il n'en est rien. Pour l'instant je me tiens face aux dieux. Les yeux dans leur creux. Oui, je veux traverser. Je suis mieux. J'avale un kiss cool et me jette sur ce dédale de paves qui filent un immense chandail. Ils vont trop vite, je tombe. Je me retourne, me rêve. Je retombe. Ce n'est plus une manie, c'est un caveau. Prends garde poivrot, les serpents se rapprochent. Je me relève une dernière fois et continue ma traversée. Des souliers, beaux. Il n'y a plus de serpents, il n'y a plus d'alcool dans le sang de Paris. Où est le Graal. Ne plus boire. Il y a juste la cathédrale et cette fille. De sa forte jeunesse elle illumine la grande façade secrète de l'antre démoniaque, la face cachée de ma lune sentimentale. Elle se tient droite, belle, rayonnante. Un arbre dont la dernière feuille résiste éternellement au vent tumultueux du désert de mon existence vient de se planter vigoureusement devant mon âme refaite. Je ne veux rien manquer du moindre de ses gestes, écouter chacune de ses paroles, entendre à chaque fois la séparation de ses lèvres, percevoir chacun des frémissements de son corps pâle, chaque clignement de ses yeux. Oh pardon, ma langue traîne par terre. T'ai-je déjà remplacé Saint Pierre ? | |
Stépan O. |